C.2. L'HABILLEMENT.

 

Dans ces années, l'habillement de nos ancêtres est évidemment en rapport avec  leur sexe mais aussi avec le jour où on les regarde, soit un jour de  semaine soit un dimanche où un jour de fête. Comme nous l'avons déjà signalé pour les façons de se nourrir, ( Cf. supra § C.1.2.), les façons de s'habiller sont demeurées assez stables jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, bien qu'apparaissent déjà « les poussées des modes venues des villes, de Paris en particulier » (5).

 

C.2.1.L'habillement des femmes

Dans les périodes anciennes et en forçant  la comparaison, un écrivain régionaliste rapporte le dicton suivant : « Pauvres paysannes la semaine ..Princesse le dimanche» (6).Voyons ce qu'il en était.

 

C.2.1.1. L'habillement des femmes en semaine.

Pour travailler dans les champs ou à la maison, l'habillement est destiné avant tout, à protéger et à couvrir. Il est très simple. La robe, en toile, a des manches longues avec sa jupe descendant jusqu'aux mollets. Cette toile est sombre et porte assez souvent de petits motifs répétés en damiers. Un tablier, plus clair que la jupe, l'enveloppe et la serre à la taille. Un tricot avec ou sans manches, boutonné sur l'avant, couvre le corsage quand la température le nécessite. Jusqu'au milieu du siècle passé, les femmes âgées portaient la sa(à entrevoir ci-dessous). Cette coiffe de tous les jours, en forme de demi-sphère, cache les cheveux coiffés en chignon. Deux longs rubans, fixés dessus, chacun au niveau de l'oreille, tombent jusqu'a la taille lorsqu'ils ne sont pas noués sous le menton. Pour leur vie à l'extérieur, les femmes, suivant la température, vont tête nue, portent un foulard où un chapeau de paille à larges bords, pour se protéger du soleil.

 


     Mémé Julie à Sfontaine en 1938. Elle tricote et surveille ses vaches.


C.2.1.2. L'habillement des femmes pour les dimanches et jours de fête.

 

Nous retenons ici, le costume dit "traditionnel", parce qu'il donne des Avancheraines une image originale d'appartenance à leur petite patrie. Cet habillement apporte également, un "faire valoir" individuel qui s'exprime dans diverses  manifestation que ce soit des fêtes religieuses, des fêtes civiles ( voir ci-dessous ), ou des cérémonies familiales. La sortie de l'isolement montagnard, décrit précédemment (7) lui a été petit à petit funeste.

 

Cet habillement réunit les pièces principales suivantes : une coiffe, une robe, un tablier, un châle et des bijoux.

 

La coiffe ( bè-ta )

Nous avons rencontré deux exemples de cette coiffe. A l'examen, nous constatons entre eux, un changement, et ceci dans un temps relativement court, une soixantaine d'années environ. Ce mouvement a été repéré par des spécialistes du costume(8).

La coiffe de la fin du 19ème siècle, représentée par celle de Madeleine Rellier–13, page 26, est faite d'un bonnet, orné d'une dentelle tuyautée qui forme une auréole autour  du visage.

La coiffe de 1920 est portée par vingt sept des trente deux Avancheraines, réunies devant la Mairie ( page 25, ci-dessous).

Plusieurs rangs de dentelles tuyautées dits "rucher", sur l'avant et les côtés, forment une sorte de bourrelet qui encadre le visage. Cette coiffe porte ensuite un ruban de soie qui développe plusieurs boucles et plis et dont les extrémités retombent à l'arrière, un peu au dessus du châle. Par rapport à la précédente, la coiffe "1920" a pris du caractère. Elle possède certaines parties communes avec des coiffes d'autres vallées voisines comme celles des Allues et de Beaufort (9).

 

La robe ( robâ ).

La robe de fête, en cachemire noir, présente à l'arrière de la jupe, de nombreux plis. Les manches du corsage sont décorées d'un ruban de velours très large, de quinze à vingt centimètres, portant trois boutons. Parfois une dentelle orne les poignets de ces manches. Sur le devant du corsage, se place un jabot en forme de cœur allongé en soie tuyautée ou plissée sur lequel est cousue une dentelle au niveau de l'encolure.


 

Le tablier ( fëda )

Le tablier fait systématiquement partie de la toilette. Il est en tissus de lainage fin ou de soie unie ou moirée. Dans sa partie supérieure, de chaque côté, est cousu un large ruban, croisé à l'arrière et noué à l'avant ou il retombe en longs pans sur le tablier lui même.

 

Le châle ( motchu )

« Partout, le châle était une partie importante de l'habillement : on l'appelait le mouchoir [motchu en patois ]. Il était en cachemire, en lainage très fin, en soie ou en velours, le plus souvent frangé. Il pouvait être uni et brodé de couleurs vives, ou à fond noir broché de motifs de couleur primaires ou d'une seule couleur recherchée, gorge-de-pigeon, rouge ponceau, bleu de Prusse, violet, vert émeraude. On le fixait à l'arrière du cou par trois gros plis. Fréquemment, le châle est disposé sur une bande de tissu blanc bordé de dentelle ou gaufré, ou sur un plastron à petit col , une modestie brodée ou plissée, ou sur des rubans blancs disposés en éventail pour le faire ressortir. Quelques fois le châle est assorti aux rubans de la coiffe ou au tablier »(10). *

 

Des bijoux.

Sur un ruban ou sur une chaîne sont suspendus une croix (na krwi )et un cœur ( tyeur ) en or. S'y ajoute une broche ( brôts ), pour fermer le col de la robe.

Croix et cœur en or Avanchers Valmorel
    Croix et cœur en or, broche. (11)

~

*  Quels regrets, de ne pas pouvoir regarder, sur la page 25 , les Avancheraines dans leurs beaux atours aux teintes variées.

Le surgissement de la photo  couleur est arrivé trop tard, pour l'évènement de 1920.

 

(5) ASPORD, (R.), 2005, page 33

(6) DEQUIER, (D.), 1997, page 6.

(7) ASPORD, ( R.), 2003, pages 44 et 45.

(8) COLLOM, ( G.), 1991, page 60.

(9) DEQUIER, ( D.), 1997, pages 104 et 108.

(10) HERMANN, (M.Th.), 1980, page 275.

(11) ASPORD, ( R.), 2005, p.33.

 

 

 

 


-24-

 

 

Avancheraines en costume "traditionnel"

 

Des Avancheraines en costume "traditionnel" devant la Mairie.

Elles sont réunies pour l'inauguration, en 1920, du monument aux morts de la guerre 1914-1918.

 

Sur cette illustration, les coiffes sont pour les unes noires, pour les autres blanches. L'explication suivante est avancée. Par rapport aux morts, inscrits sur la plaque souvenir, les mères porteraient une coiffe noire, les veuves, une blanche. Nous n'avons pas pu vérifier cette explication.


 

C.2.2. L' habillement des hommes.

L'habillement de nos ancêtres masculins a laissé peu de trace. Des spécialistes du costume, avancent une cause, car «très tôt, dans le milieu du 19ème siècle, en bien des cas, le costume des hommes s'est fixé dans une stricte imitation des modes citadines ».(12)  N'abandonnons pas cependant le sujet.

 

C.2.2.1. L'habillement des hommes en semaine.

Nous essayons de le retrouver avec deux anecdotes concernant, l'une, des habitants des Avanchers, l'autre des villageois de Tarentaise. La première est liée au besoin de "faire valoir".

Le bourgeois de campagne « se promène en redingote de laine fine [...] et la communauté railleuse à chaque innovation, rappelle les hardes dont il était autrefois vêtu, avant d'être riche. Aux Avanchers, c'est maître Semillie que l'on brocarde sur sa tenue en 1733.

[ Le châtelain de chez nous - C'est un bon drille -Il est allé jusqu'à présent - Habillé de guenille ].

Je sais, dépose un témoin, que la dite chanson désigne directement le dit châtelain Semillie parce qu'étant paysan comme nous, le premier habit  de couleur qu'il a porté fut un vieil habit qu'il avait acheté..»(13)

La seconde anecdote est une description  d'Etienne-Louis Borrel, de Saint-Martin de Belleville, un site de notre bassin familial.

« J'ai vu deux habillements complets d'hommes, en gros drap du pays, remontant à une période antérieure à la Révolution dont voici la description

L'habit, en drap blanc, grossier et raide, est ample à longues et larges basques droites devant, sans rabat, à col droit et à manches étroites. [....]

Le  gilet descend jusqu'à l'aine. [....]

 La culotte, dite à mollets, ne s'arrêtait pas aux genoux comme dans d'autres costumes anciens, elle descendait dans de longs bas, chausses, montant jusqu'aux deux tiers de la hauteur de la cuisse. Elle était serrée, ainsi que les bas, au-dessous du genoux, par de longues et larges jarretières en laine rouge ou bleue faisant plusieurs tours .»(14)


 

C.2.2.2. L'habillement des hommes pour les dimanches et fêtes.

La plupart d'entre eux, portent chapeau et costume noir ( nâr ) L'image du cortège du mariage, en 1920, de tante Amélie et Prudent Simille, nous le montre (15). C'est à l'aide du  patois que nous  retrouverons cet habillement, patois qui jusqu'au milieu du 20ème siècle a identifié chaque pièce de leur vêtement.

En regardant ces hommes de la tête au pieds, nous voyons : le chapeau ( tsapé), une chemise blanche ( tsmig blants ),une cravate ( krévat ), un gilet ( jilè ), une veste ( paltô ), un pantalon ( tynlota ), une cein-ture ( singyon ), des chaussettes ( tsôse), des souliers de cuir ( selô de kwi ) (16).

Avec le chapeau, nous touchons un symbole lié à la masculinité. A l'adolescence « le jeune garçon se voit octroyer [...] le droit de porter le chapeau, à l'instar des hommes ».(17)

Nous verrons, à titre d'exemple, que ce droit a été bien utilisé par l'ensemble des conscrits de la classe 1919.

( Cf. infra § H.1.1, page 70).

 

 

(12) COLLOMB,( G.), 1991, p. 123 et cite Nicolas J., p 50 et Hudry M, p 129.

(13) NICOLAS, ( J.), 1981 (cité ci-contre)

(14) HUDRY, ( M.), 1973.( cité ci contre.)

(15) ASPORD, ( R.), 2005, p. 34.

(16) SIMILLE ( N. et M.) Le patois des     Avanchers, p.18.

(17) COLLOMB, ( G.), 1991, p.100.

 

-25-

 


C.2.3. L'habillement de cinq de nos ascendants, de la quatrième génération.

 

A la quatrième génération nous avons huit ascendants. Malheureusement, nous ne disposons pour eux que des cinq photographies ci-dessous.

Par contre, et c'est positif, les quatre quartiers de notre ascendance, sont présents. Nous retrouvons le groupe ASPORD, MERMIN, COMPA-GNON, VIRLAZ, que nous avons identifié précédemment, avec le sigle A.M.C.V.( Cf. notre Cahier 3, page 18 ).

 


 

Eugène ASPORD
Quartier Aspord. Eugène ASPORD-8 1831- 1899.

 

Cette photographie est celle d'un homme âgé. Son costume noir, trois pièces, avec chemise blanche correspond bien à un habillement des hommes pour les dimanches et fêtes. Sa cravate originale pourrait laisser croire que cette image a été composée par le photographe.

 

Madeleine RELLIER

 

Quartier Compagnon. Madeleine RELLIER-13 1830- 1919.

 

Avec elle on voit, le haut du costume avancherain de son époque. Elle porte deux bijoux seulement, un cœur, une croix mais pas de broche. Sa coiffe a servi à identifier et décrire les coiffes de la fin de 19ème siècle ( Cf. supra § C.2.1.2. p. 24 ). Son châle montre des franges  mais pas de broderies. La photographie a été prise dans un studio parisien.

 

 

Jean- Pierre MERMIN
  Quartier Mermin. Jean- Pierre MERMIN-10 1839 – 1906.

 

Nous voyons ici, un habillement qui   sort du courant : redingote sombre comme le pantalon, gilet de couleur à revers, avec huit boutons, chemise blanche avec une cravate passée sous le col. Ce costume est original par rapport à ceux des autres hommes de cette page. Approximativement, nous sommes dans la seconde moitié du 19ème siècle et cet habillement a certains traits communs avec celui qu'on a appelé « l'habit à la française » porté dans ces années là (18).Par ailleurs, Jean-Pierre nous donne peut être de lui, une image correspondant au « désir de paraître »  afin d'ex-primer un rang social à tenir. En effet il est issu d'une famille de colporteurs, marchands de drap, lui même négociant, quand il n'est pas agriculteur montagnard en été.

 

 

 

Virginie MERMIN

    Quartier Mermin. Virginie MERMIN-11 1842 – 1907

Le vêtement de Virginie est très marqué par la mode de la ville dans les années 1870. Ceci n'est pas surprenant car elle a vécu à Paris jusqu'à  vingt trois ans. Le studio créateur de cette photogra-phie, présentée à côté de celle de Jean-Pierre, n'a pas été identifié.

 

 

 

Ferdinand VIRLAZ

Quartier Virlaz. Ferdinand VIRLAZ – 14 1843-1922.

 

Son costume noir trois pièces, avec chemise blanche et cravate correspond, en tous points, à l'habillement des hommes pour les dimanches et jours de fêtes. Il est proche de celui d'Eugène Aspord.. Ce portrait est extrait d'une photographie de groupe où il figure en totalité. Elle a été prise à Paris, le cinq octobre 1905, dans un studio spécialisé, à l'occasion du mariage de son fils François. Ce jour là, Ferdinand à soixante deux ans

 

(26) COLLOMB ( G.), 1991, p.126

 

 

-26-.

 

 


 

C.3. DES  BIENS  MEUBLES. 

 

La collection des biens meubles inscrits ici, ne cherche pas à être exhaustive. Elle représente un exemple où ces biens sont répartis par fonction, entre les diverses pièces d'une habitation principale. Les sources utilisées pour l'obtenir ont été principalement, le livret « Le Patois des Avanchers » ( Cf. Supra  p.21 ), la vente des biens du Père Vulliermier ( * ) ( Cf. infra Annexe 1 ) complétés en plus par quelques souvenirs personnels.

 


C.3.1. Des biens meubles dans la pièce commune.

 

Pour la source de chaleur :

L'âtre et sa hotte imposante, ont donné place à un fourneau en fonte, alimenté au bois. Les orifices ronds de sa plaque supérieure sont, soit obturés par un couvercle, soit permettent d'introduire dans le foyer des marmites ( brons ) de différentes dimensions.

 

Fourneau en cours de chargement et ses marmites.

 

Pour l'approvisionnement en eau :

Avant le raccordement au réseau communal, l'eau fraîche est stockée dans des seaux en fer ( sizlins), placés sur un banc ( arts banc), pour être à portée de main. On y puise l'eau avec une grosse louche ( na cassa ).

 

Pour cuisiner :

Généralement une batterie de casseroles est accrochée au mur. Elle complète les « brons ».

Un pétrin, est devenu avec sa planche de fermeture, une surface de travail. A l'intérieur on y conserve le pain blanc du boulanger, après l'abandon de la cuisson du pain de seigle au four banal.

 

Pour prendre les repas :

Une table, largement dimensionnée où prennent place à son pourtour, chaises paillées et banc (s).

 

Pour les rangements :

Un buffet,  pour  divers ustensiles, pour les couverts et la vaisselle. Un vaisselier le surmonte parfois et sert à y loger les belles pièces.

Une armoire à deux portes, contient le linge de table et celui de maison.

 

Pour l'éclairage :

On est passé, au siècle dernier, par les différentes étapes suivantes :

·        lampe à huile ( lnè ),

·        chandelle,

·        lampe à pétrole,

·        lampe à acétylène produit par du carbure de calcium,

·        lampe électrique, à partir de 1927.


C.3.2. Des biens meubles dans les chambres.

 

Pour le couchage :

Les lits ( kyuts) présentent, verticalement, en tête et en pied, des panneaux en bois de noyer. Une traverse cylindrique horizontale, au sommet, donne avec ce relief, une certaine originalité.

Pour les bébés, on utilise un berceau, (on bri ), caisse en bois dur fixée sur deux patins convexes permettant de bercer avec le pied.

Pour un usage temporaire, on tient en réserve le garde-paille, sac de toile dans lequel on glisse de la paille, l'ensemble formant alors un matelas.

 

Pour les rangements :

Une armoire à deux portes, pour les draps, couvertures, couvre-lits et pièces d'habillement.

 

 

C.3.3. Des biens meubles dans la cave.

 

On y entrepose, tonneaux, pressoir pour le raisin, râpe à tambour pour les pommes, ( Cf. supra  p. 23) , terrines pour les conserves.

On y range le fromage et stocke les pommes de terre.

 


C.4. CONCLUSIONS  DE  CE  CHAPITRE.

 

Nos ancêtres ont atteint, au cours de notre période d'étude, grâce à leur travail et à leur organisation individuelle et communautaire, un niveau de vie qui est, pour la plupart d' entre eux, sans opulence mais sans pénurie. Un des motifs de leur comportement, pourrait bien avoir été leur croyance en un au-delà à mériter, porté par la religion catholique.

La présence du Ciel, tel que nous l'avons défini au chapitre précédent ( Cf. supra § B.5.), était souvent symbolisé grâce à la croix du Christ, dans leur cadre de vie à l'extérieur. Dans leur quotidien, elle est également présente. On voit le crucifix à la place centrale, sur l'encadrement de la hotte dans la pièce commune, et accroché sur un mur de chacune des chambres. Cette croix est un motif de sculpture sur des meubles, sur des moules à beurre. Elle est portée, par les femmes, sur leur costume des dimanches et fêtes.

 

 

( * ) Dans cet inventaire après décès, en application du droit local savoyard du moment, certains êtres vivants sont portés – brebis, abeilles avec leur ruche – mais pas d'autres comme les gallinacés.

 

-27-

 

 

 

 

Retour aux choix des cahiers