CHAPITRE D : SORTIE DE L'ISOLEMENT MONTAGNARD 1919-1983.

Si l'on met de côté, la période de la guerre de 1939-1945, les deux Savoie vont connaître, durant six décades, un développement touristique exceptionnel avec créations d'hébergements hôteliers( 386 000 lits ), d'équipements de remontées mécaniques (1300 engins) et de routes. La neige qui isolait les zones de montagnes, va imposer pour leur exploitation, le dégagement régulier de ces routes. Alors que des conditions de vie éprouvantes conduisait, en nombre, des gens du pays à le quitter pour la ville, c'est à présent de cette ville que seront aspirés les vacanciers de la neige et du dépaysement.
Avant 1939, une vingtaine de stations-village voient le jour. Ces stations, dites de la première génération, sont installées en altitude modérée ( 950-1300m). Elles se greffent sur l'habitat existant, avec un accueil en hiver et en été. Immédiatement après la guerre, la seconde génération se présente avec un exemplaire presque unique. Il sera implanté sur la commune de Saint-Bon en Tarentaise. Créée de toute pièce en 1946, la station sera pensée pour la pratique du ski à l'altitude 1850 mètres; c'est Courchevel.
Le département de la Savoie et la commune y détiennent la maîtrise des équipements. A partir de cette formule d'urbanisme de loisir, une troisième génération d'une dizaine de stations, également intégrées, va de 1961 à 1972, occuper des alpages de 1800 à 2000 m. Ce sont en particulier pour les sites tarins, Super-Tignes(1952), La Plagne(1961), Les Menuires(1964), Les Arcs(1968) et Val Thorens(1972) (Voir la carte ci-dessous). Le secteur privé conduit ces opérations encadré par un Plan Neige, reflet des années euphoriques de 1960 à 1975.
Dans ces vallées, si proches de celle du Morel où voisinent Les Avanchers et Doucy, ces stations sont, pour les uns des modèles, pour d'autres des repoussoirs. Est-ce la rançon de la prudence où un hasard heureux, nous allons voir naître tardivement, en 1976, une station d'altitude moyenne sur les hauteurs du Morel. Certains la diront exemplaire, pour la quatrième génération .Elle apportera des perturbations à la nature montagnarde avec ses touristes en nombre et les équipements créés pour les attirer.
Les paysans avancherains vont, face à cette situation, opérer avec d'autres, des changements indispensables à leur survie. Ceci touchera la race de leurs bovins à lait et leur production fromagère. Les alpages et les zones de montagnettes de 1000 à 1800 mètres, deviennent, dans un premier temps, des territoires de concurrence entre le tourisme et l 'agriculture.
Voyons à présent, les étapes de la sortie de l'isolement montagnard.




Carte des stations tarines de ski alpin.
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D.1 . LA VALLÉE DU MOREL DEVIENT TERRITOIRE DE LOISIRS. 1919-1983

Les vacances d'été et d'hiver trouvent assez tôt, leur domaine aux Avanchers. Entre les deux guerres, plusieurs centres seront exploités dans un but social. Le ski y trouvera également un milieu porteur. En 1936 y sont organisés les championnats militaires; en 1937, c'est un enfant du pays, Michel Vorger, qui est vice-champion de France.
Après la guerre, on relèvera un passage à vide d'une quinzaine d'années dont les causes supposées seraient l'endormissement ou la réflexion profonde sur l'avenir ! En réalité, il y a des conflits municipaux. A partir de 1960, sur le territoire de la commune une modeste station-village s'installe.
De 1976 à 1983, elle sera absorbée par une station créant sept mille lits.






Carte du bassin du Morel avec trois chalets des Centres de vacances en montagne ( C.V.M.)

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D 1.1. Les Centres de Vacances à la Montagne ( C.V.M.) . 1922 – 1939

Sous l'impulsion de son maire, Adrien Rey-Golliet, sortent de terre de 1922 à 1938, successivement trois gros chalets pour l'accueil, en nombre, de scolaires de grandes villes, Paris pour l'essentiel. Le maire initiateur, est inspecteur général de l'éducation physique des écoles publiques de Paris et de la Seine, ce qui explique ces innovations. C'est d'abord le chalet de la Croix de fer, au chef-lieu, à 1000 mètres,(voir ci-contre en haut) puis celui à 1250 m. du Crey (ci-contre au milieu) et enfin le dernier au Planchamp à 1400 mètres (ci-contre en bas). Ces C.V.M. sont reconnus d'Utilité Publique en 1925. Ils fournissent à plusieurs centaines de jeunes scolaires de milieux modestes, des séjours d'une quinzaine de jours à des prix abordables. L'association prend en charge les enfants à la gare de Lyon à Paris, à l'aller, et les y dépose au retour. Ce voyage en chemin de fer sur le réseau P.L.M. dure près de 11 heures. Au mois de juillet et d'août, le passage de ces groupes de vacanciers, n'est pas sans produire des réactions chez les autochtones de ma parenté. En effet, certains moniteurs maîtrisent mal leur troupe. Des foins sont piétinés, ce qui rend leur fauchage difficile sinon impossible ; les “quatre heures” laissent sur place, du pain blanc en quantité. Nos paysans consomment pour partie principale, leur pain de seigle cuit au four banal, complété par du pain blanc acheté ; gaspiller ce dernier est choquant, incompréhensible.
( Ci-après, page suivante, figure le four banal du chef-lieu.)



Chalet de la Croix de fer, au. Chef –lieu, à 1000 m.



Chalet du Crey, à 1250 m.



Chalet du Planchamp, à 1400 m.

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Le four banal du Chef-lieu.

D. 1. 2. Un passage à vide où presque. 1940 - 1960

Alors que des stations de ski s'implantent dans plusieurs vallées voisines, des discordes avancheraines stérilisent les tentatives d'investisseurs. Le courant des anciens, refuse l'effacement, devant ceux venus d'ailleurs. Pour ces anciens, la montagne est par tradition la pelouse ou pâturent leurs troupeaux de bovins à lait. Elle a été mise en valeur au cours des siècles. Dans son étage supérieur, inlassablement envahie par les broussailles, il a fallu, couper les aulnes verts, “arcosses”, déterrer les racines, brûler le tout pour maintenir les herbages. Cependant, en 1948, un fil-neige est installé au chef-lieu, première apparition d'une remontée mécanique. Il présente une capacité très limitée : une longueur de quelques centaines de mètres pour un dénivelé d'une cinquantaine.


D. 1. 3. Une station-village de modeste ambition à 1050 mètres. 1960 - 1972

Dans ces douze années, des créations successives, vont composer une station de moyenne altitude. Quatre téléskis sont implantés (Voir ci-dessous) :
- le Rocher en 1963 couvre de 1250 à 1428m, - l'Empyrée en 1969, de 1345 à 1665m,
- le Plan Chevron en 1972, de 1305 à 1452m,
- le Blanchot en 1970 est pour les débutants. Pour l'hébergement, les touristes disposent d'une petite hôtellerie d'une centaine de lits avec :
- la pension Chrétien-Jay, le Cheval noir, la Charmette, le Centre familial « La Vigogne » et de cinquante gîtes ruraux environ.
Dans cette période, la commune créé un lotissement à proximité du village de Charmette, avec une cinquantaine de chalets. Elle abandonne, l'habitat groupé traditionnel, pour adopter une dispersion du type décrié de ''pavillons de banlieue''.


D. 1. 4. Aménagement d'une station d'altitude moyenne (1300m-1400m) 1973 - 1983
Malgré des résistances avancheraines, justifiées et habituelles, une station va voir le jour en 1976 dans la haute vallée du Morel. Avec un encadrement remarquable, elle occupera progressivement, en demi-cercle, le fond de l'auge glaciaire, dominée à l'est par les crêtes de Crêve Tête culminant à 2341m, au sud par la chaîne des Niélard à 2544 et 2559m, la pointe du Mottets à 2592m, le Cheval noir à 2832m et, à l'ouest, la Montagne de Tête, plus basse, à 1806m (Voir page ci-dessous).




Les téléskis de 1963 à 1972. Les sommets de la haute vallée du Morel

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C'est la réunion des trois éléments suivants qui va aboutir à sa mise en service :

- une base administrative solide,
- des financements sociaux,
- des aménageurs à la page.

En effet, la commune des Avanchers adhère en 1973/1974, au District d' Aigueblanche, une communauté de onze communes du bassin d'Aigueblanche. C'est le point de départ des opérations de lancement qui s'enchaînent alors rapidement. Tout l'édifice à pour base la loi du 23 octobre 1958. Elle admet la légitimité d'une expropriation pour cause d'implantation touristique. Le Préfet de la Savoie, prend le 4 décembre 1975, la Déclaration d'Utilité Publique.
En mai 1976, une convention est passée entre le District d'Aigueblanche et une Société d'aménagement foncier. L'équipe de jeunes architectes qu'elle réunit, ne donne pas dans le gigantisme et place la station à une altitude moyenne, 1300/1400 mètres, pour être viable toute l'année.
Le capital de cette Société est détenu à 80% par des organismes néerlandais, Caisses de retraite et Crédit agricole, ayant besoin de placements dans la pierre ; les 20% restants par le Crédit agricole français et diverses entreprises locales. Le District mènera les tractations avec les propriétaires pour l'achat des terrains supportant immeubles, voiries et pistes. Il dispose de l'arme de l'expropriation que lui donne la Déclaration d'Utilité Publique. ( 66 )
Le tourisme moderne en montagne a un gros appétit de surfaces, réduisant d'autant les terres agricoles.
Sur le hameau de « Sfontaine » , incorporé partiellement dans le périmètre de la station, une bonne partie des prés et bois de mes ascendants Mermin a été expropriée.
43 parcelles, pour plus de 8 hectares, ont été cédées au District pour un prix moyen de 1,50 francs le mètre carré.

Ma grand-mère n'a pas vu ces arrachements. Sa dernière fille, (Photo ci-dessous) a dû absorber l'épreuve. Elle l'a fait courageusement. La station, elle, baptisée « VALMOREL » , entre progressivement en puissance et passe de 300 lits en 1976 à 7000 en 1983, et dans le même temps, d'une remontée mécanique à dix-neuf.


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L'Angèle.

D.2. LA MONTAGNE, TERRITOIRE D' ALPAGE

Avant les années quarante, quand les paysans avancherains parlent de la « montagne » , ils parlent des alpages où l'on fait paître les vaches à la belle saison. On y monte à la fin mai ou au début juin, on « enmontagne » c'est à dire que l'on y conduit son cheptel. On y remonte en septembre pour « démontagner » , mouvement inverse.(Voir ci-dessous) Ces déplacements se font aux sons des sonnailles, clarines et « carons ». Très généralement, nos avancherains ignorent la partie rocheuse des sommets environnants, hors des sentiers de communication. Depuis le XVIIIème siècle, dans ces alpages, le fromager dit « fruitier » , fabrique la « grevire » -nom patois du gruyère. C'est une réponse au besoin de stocker de la nourriture. En effet, affrontés aux hivers longs et rigoureux, les montagnards ont trouvé ce moyen pour conserver le lait produit en abondance grâce à l'herbe de l'été. Avec le temps, cette production fromagère évoluera pour aboutir au beaufort.





La démontagnée.

D. 2. 1. Les Alpages.

En Tarentaise en général et aux Avanchers en particulier, les alpages occupent la zone de 1500 à 2500 mètres d'altitude, intermédiaire « entre la forêt et les sommets couverts de rochers, d'éboulis et de neige persistante». ( l ) C'est par un travail de défrichage des arbustes, commencé au XIIe siècle, développé et poursuivi ensuite, que nos montagnards ont constitué ces pâturages baptisés par certains « pelouse alpine » .


( l )F.Weber dans « Histoire millénaire des alpages » page 73/ op. cité., repère 67.



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Nos ancêtres ont mené ce travail de façon communautaire. En effet en Tarentaise, bien avant le XVIIe siècle, ce sont les commu-nautés paroissiales qui avaient reçu ces alpages en albergement, c'est à dire en bail à très long terme sinon à perpétuité.
Sur ces hauteurs, la durée de la végétation est faible. Elle doit germer , pousser et se reproduire entre deux périodes de neige, éloignées l'une de l'autre de trois à quatre mois. Ceci conditionne le temps de « mise en montagne » du bétail qui n'excède guère les cent jours. Sur cet espace ont été construits de loin en loin, des chalets dits « arbé » , destinés aux alpagistes, leur permettant de n'être pas trop éloignés du troupeau, pour produire leurs « meules » de gruyère, d'au moins quarante kilo. chacune. A certains centres géographiques, des caves d'affinage, constructions en pierres, servaient pour le traitement de ces « meules » ou elles étaient transportées sur la tête à l'aide de « l'ijo » (m). Tous ces lieux, figurant ci contre, sont bien identifiés : Beaudin, Planpart, Prarion, La Froide, Pierrafort, Malatray, Pierre Laron.
Depuis 1738, début de notre période de recherches, l'exploitation des pâturages d'altitude a évolué entre la forme collective héritée du défrichage d'origine dite « en fruit commun » et la forme individuelle. Au fil des années, le patrimoine collectif a été réduit puisque la commune doit en 1900, acheter une montagne pastorale et en 1906, mettre au point un règlement en 26 articles pour ses montagnes. ( n )
Comme exemple de la gestion individuelle, nous avons repéré dans les Archives de la commune, trois acensements (bail à terme) passés par la communauté. Ils concernent le 08.12.1748, la montagne du Planet,
- le 01.12.1754, une montagne communale acensée à Joseph Guillet et,
- une année plus tard, à P.Muraz et consorts.



Les caves d'alpages.

m) « l'ijo» , c'est l'oiseau en patois ; un plateau en bois. Deux rondins y sont fixés pour fournir des appuis sur les épaules.
n)Cité au §C.4.6.


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D. 2. 2. Gestion « en fruit commun » .

Avec la gestion collective, la plus pratiquée aux Avanchers, les propriétaires, on l'a vu, conduisent leurs vaches laitières sur les alpages. Chaque troupeau ainsi constitué, comprend une centaine de bovins. La communauté villageoise joue un rôle essentiel en assurant elle-même services et corvées.
Elle élit , au début février, à la Chandeleur, deux « procureurs » . Ils sont chargés d'organiser le fonctionnement de cet alpage, ce qui se discute, comme ci-contre . Ils doivent en particulier recruter les personnels et en fin de campagne les rémunérer. Sont ainsi réunis, pour l'essentiel, le « fruitier » responsable de l'ensemble, le caviste dit « governu » chargé de l'affinage, puis le berger. S'y ajoute un nombre variable d'aides pour la garde du troupeau et l'approvisionnement.
Le dernier dimanche de juillet est le jour de la « pesée » , à la mi-temps de l'estivage. Les propriétaires viennent contrôler le litrage de lait produit par leurs vaches. Sur cette base sera partagé le résultat de la vente des fromages, ce « fruit commun » .



Les procureurs.

D. 2. 3. Une production fromagère : le beaufort

Durant le XXe siècle, la production fromagère dans les Pays de Savoie à beaucoup évoluée.

D. 2. 3. 1. De la “grevire” au beaufort d'Appellation d'origine.
« A la fin du XIXe siècle la situation n'est pas brillante. La fabrication du gruyère est entachée d'irrégularités, et le hasard y présidait. Si le portrait n'est pas flatteur, cet état des lieux ne serait pas complet si l'on oubliait de signaler que les fromages de Savoie, présents au Concours Général de Paris en 1873, obtiennent pour l'ensemble de l'exposition, une Médaille d'Or.» . (67) Pour résumer, cette « grevire » est de qualité très variable, certaines fois discutable. Elle est peu commercialisée mais son potentiel est certain.

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C'est entre les deux guerres que le mouvement vers la qualité se déclenche. La technique de fabrication est en place depuis le XVIIe siècle mais doit être stabilisée et perfectionnée. Ses étapes principales sont : « chauffage du lait cru à 33°/34°C dans un grand chaudron en cuivre ; émiettage du caillé ainsi obtenu en grains qui seront chauffés à 53° et brassés constamment ; quand le grain est “fait”, le fromager retire la masse du caillé du chaudron et la recueille dans une toile de lin (ci-contre en haut) ; puis il moule et presse le fromage dans un cercle de bois qui lui donne son talon concave, caractéristique du beaufort ». ( 68 )




Le caillé dans la toile de lin.

puis il moule et presse le fromage dans un cercle de bois qui lui donne son talon concave, caractéristique du beaufort ». ( 68 )



Le moulage dans le cercle de bois.

Au bout de 24 heures, les grains de caillé sont soudés et forment une pâte homogène. Après un jour de repos, le fromage est plongé dans un bain de saumur (eau + sel) où il séjournera encore 24 heures. A la sortie, la croûte est formée et le beaufort prêt à passer en cave pour l'affinage.
Prenant le relais du « fruitier » , le « governu » ou gouverneur, intervient




Le gouverneur dans ''sa'' cave.


Dans une cave humide, à une température maintenue autour de 10°C, les fromages sont tour à tour, salés, frottés et retournés au moins deux fois par semaine. Cet affinage dure plusieurs mois. A partir de ce savoir faire de base, sera conduite une organisation professionnelle solide du beaufort, avec notamment la création de structures telles que la formation des fromagers en 1925, une Société coopérative d'affinage en 1939, une Union des Producteur de Beaufort en 1965/66 et un Syndicat de défense en 1975.
L'année précédente la profession avait opté pour une qualité optimale et fait appel à l'Institut National de la Recherche Agronomique.
Une dizaine d'années sera nécessaire pour atteindre les objectifs:
- compléter le savoir faire des fromagers,
- contrôler les étapes d'élaboration du produit,


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- assurer la modernisation des installations dans le respect le plus absolu de la qualité.
Ce seront ensuite les actions conduisant à quatre décrets ministériels codificateurs de l'Appellation d'Origine du Beaufort:

- le 4 avril 1968 :
*protection du nom, ( Marque ci-contre ),
*identification de la zone de production: Beaufortin, Tarentaise, Val d'Arly et Maurienne.
- le 31mars 1976 :
*définition des règles de production,
*reconnaissance du cercle à beaufort et du talon concave de la meule.
Au delà de notre période d'étude ,
- en décembre 1986 :
*attribution des qualités « été » et « alpage » ,
*obligation des races tarine (Voir ci-dessous ) et abondance.
- en 1993:
*renforcement des règles de production du lait, du fromage, de l'affinage porté à cinq mois,
*de la conduite des troupeaux ,
*de l'entretien des pâturages.
Enfin la production moyenne est fixée à 5000 kg par vache en lactation et par année. Ce dernier objectif exprime la volonté de placer le beaufort sur l'orbite de l'entretien de l'espace et de la sauvegarde de l'environnement. ( 69 ) Après les années de mévente de 1970 à 1972, l'objectif de qualité, cher à Maxime Viallet ( o ), donne des résultats déterminants. Alors que la production était de 500 tonnes en 1960, elle atteint 1360 t en 1977, 1950 t en 1982 et poursuit depuis sa progression.

D. 2. 3. 2. De la montagne de Beaudin à la cave coopérative de Moutiers.

Dans le cadre des règles décrites ci-dessus les producteurs avancherains de la montagne de Beaudin vont abandonner la méthode ancestrale. Le beaufort d'alpage sera remplacé par le beaufort de montagne. Le tableau ci-après indique les caractéristiques de ces beaufort.



La marque A.O.C. du Beaufort.


Une vache de race tarine.


(o) Maxime Viallet est dit le "pére du Beaufort". La Vie Nouvelle-L'Hebdo de la Savoie –N°835 du 07 Mai 1999/ p.22
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QUALIFICATIF

Beaufort
Beaufort

d'alpage
de montagne.

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LIEUX DE PATURAGE


Alpages
Alpages

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NATURE DE LA NOURRITURE


Herbe fraîche
Herbe fraîche

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LIEUX DE FABRICATION DU GRUYERE


En altitude
En fruitière

dans un chalet
dans la

proche du
vallée

troupeau


Dans une première période, c'est le stockage qui sera déplacé et confié à la cave de Moutiers où les « meules » , dites aussi « roues » , seront transportées. Le lait du troupeau a été traité isolément et le gruyère a l'appellation « beaufort d'alpage » .
Dans une deuxième période, à la fin des années 70, le produit n'est plus élaboré sur l'alpage de Beaudin. Le lait est transporté, en bidons, par camion, une fois par jour. Il est séparé pour chacune des deux traites puis sera mélangé au lait d'autres troupeaux , à la fromagerie de Moutiers. Le produit résultant devient « beaufort de montagne » .
Les impératifs de l'économie moderne de concurrence ont conduit à ces changements. La réduction des coûts de fabrication impose un personnel très limité avec l'utilisation de matériels modernes, certains perfectionnés.
(Nous voyons ci-dessous, dans la cave coopérative de Moutiers, en haut des chaudrons de 4000 litres et en bas un élévateur des pièces de gruyère.)



Des chaudrons de 4.000 litres.

Elévateur des pièces de gruyère


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D. 2. 4. Souvenirs familiaux sur les alpages et leurs à cotés.

Vacancier scolaire aux Avanchers, en été, dans l'entre-deux guerres, j'étais habitué à voir les étables des villages inoccupées car les vaches étaient à « la montagne » . Dans ces années, l'alpage était pour moi, l'espace pour lequel la famille était riche d'anecdotes marquées par les orages et la neige. Peu ou prou, dans leur jeunesse, les hommes devenus « montagnards » y avaient fait campagne que ce soit mon père ou mes oncles. Ils étaient aide-berger des vaches, berger des génisses ou « modzé » , berger des chèvres ou « bocatin » , « seraché » (celui qui fait le « serac » avec le petit lait) ou « boetché » (celui qui approvisionne en particulier le « boet » , le bois destiné à chauffer le chaudron). A un moment ou à un autre, peut-être ont-ils été « queula » ! celui qui porte le lait dans une « bouille » (hotte en fer blanc) depuis les trayeurs sur la « pachnée »



Les trayeurs.

jusqu'au chaudron dans « l'arbé » . Pour remplir et vider leur récipient, il faut que le lait « queula » , coule. Il n'y avait pas de fromager dans ma famille bien qu'un essai ait été engagé en 1925. J'ai relevé dans les archives communales une demande d'allocation présentée par mon grand-père paternel pour la scolarité de son dernier fils, Joseph-Emile, à l'école fruitière de Bourg Saint-Maurice. La formation lancée par les organismes de promotion du beaufort trouve là un exemple concret. L'application pour Joseph-E. a été limitée car il a mené l'essentiel de sa vie professionnelle à Paris. Sur l'alpage, le travail était très dur. Pour la première des deux traites de la journée, le lever est à trois heures. Demeurait de ces moments pénibles, le souvenir cuisant des pouces entaillés à la première jointure à cause des contacts répétés avec les tétines des vaches. Dans « l'arbé » , le confort est médiocre. Quand le troupeau en est éloigné, c'est dans une « caboche » , sorte de mini chalet en bois contenant une paillasse, que le berger passe la nuit.



Une caboche.


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Il est ainsi proche des animaux. C'est vraiment un abri précaire mais efficace sous les orages violents en altitude. Les vaches elles, sont attachées à des piquets, des « pachons » ; plantés espacés les uns des autres par le « pachonnier » qui constitue ainsi la « pachnée » . Elle est en service pour la nuit et pour les deux traites exécutées au lever et au coucher du jour. Les alpagistes vivent la rusticité que nous venons d'entrevoir durant cent jours environ. Toutefois cette période est, certaines années, écourtée, en septembre, à cause de la neige. Dès le début du mois si la saison est mauvaise, chacun dans les villages, scrute les cimes lorsque le brouillard les laisse entrevoir. Le bouche à oreille transmet les nouvelles : « la neige est descendue à Montoulvet (1400m), ou la neige est aux Teppes (1350m) » . Si l'hiver pointe ainsi son nez plusieurs jours de suite, il faut « démontagner » de façon anticipée, car les pâturages d'altitude sont devenus inexploitables. Les éleveurs vont alors rechercher leur bétail et le conduisent soit sur leur montagnette soit dans leur village. Ainsi cet étage alpestre se réanime par les déplacements des vaches conduites à leur pâtures. On leur retirera leur sonnaille après plusieurs jours. (La carte ci-dessous, présente le Morel, ses affluents et des montagnettes.)




Le Morel, ses affluents et quelques montagnettes.

D. 3. TOURISME ET AGRICULTURE DE MONTAGNE EN HARMONIE

Après cette parenthèse personnelle, faisons un retour en 1976, c'est à dire au début de l'implantation de la station de loisirs dans l'es pace du haut Morel. Nous avons enregistré cette arrivée ; elle avait perturbé l'équilibre montagnard millénaire et concurrencé l'activité agro-pastorale. C'est ainsi que l'été, des sentiers de randonnée, créés par le syndicat d'initiative de la station, se trouvaient en concurrence, sur les pâtures protégées par les agriculteurs, avec des clôtures mobiles ; ailleurs, des panneaux « sauvages » enjoignaient aux touristes, de se cantonner aux chemins, pour leurs promenades, afin de respecter les prés de fauche.
Avec le temps, les rivalités se sont atténuées entre Valmorel, pour parler large, et agriculteurs. Leur futur leur est apparu commun.


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D . 3. 1. L'avenir montagnard.

Les géographes l'ont constaté, la montagne est un univers fragile. L'érosion des sols, génère des crues de torrents, dévastatrices, comme le Morel en produisait, sur la surface du cône de déjection à proximité de l'Isère, près de Bellecombe, avant 1900 . ( Cf. C.3.5.) La maîtrise de l'espace est donc une parade à cette dégradation . ( Cf. A.5.) Les agriculteurs ont produit en tous temps les biens immatériels que sont paysages et environnement. Par contre à la fin de XXe siècle, ces agriculteurs ne représentent plus qu'un faible pourcentage de la population et l'espace montagnard n'est plus à usage unique mais selon les saisons, à vocation multiple. Les agriculteurs ne peuvent donc plus, à eux seuls, assurer la maintenance gratuite des espaces.(cidessous , à proximité de la station, ils installent un parc pour leurs bovins tondeurs.)



Installation d'un parc à bovins, près de la station.


D. 3. 2.Complémentarité entre agriculture et tourisme.

L'agriculture, avec ses troupeaux, a été associée à la station pour l'entretien du domaine skiable durant les cent jours de l'estivage. Les « tarines » et « abondances » apportent de plus, leurs présences vivantes et sonores avec leurs sonnailles. Les randonneurs de la haute montagne, en général, apprécient. La désertification est ainsi contenue grâce à ces vaches tondeuses et l'image touristique forte des alpages, se présente très accueillante. (Comme ci-dessous, avec le Mont-Blanc en fond de décor.) Le citadin fait connaissance au Bourg-Morel, centre de la station, avec les produits locaux, salaisons, roblochon, gruyère beaufort, etc. La station, elle, offre une chance de « vivre et travailler au pays » : 32 personnes œuvrent à temps plein en 1979 ; avec les saisonniers, 200 personnes ont du travail à Valmorel en 1977-78 dont 35 moniteurs de ski, 23 commerçants et leurs employés. ( 70 )


Troupeau en alpage avec le Mont-Blanc à l'horizon.



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Aux activités pastorales sources de biens immatériels, qualifiés: entretien de l'espace, du paysage, environnement, « Valmorel a donné de l'argent (plus de 500 000 francs par an depuis 1977), un technicien et des structures pour leur permettre de surmonter leur problème de croissance » ( 71 ). Pour la maintenance et l'exploitation du domaine, la voirie a été développée, parcourue par les touristes et les collecteurs de bidons de lait. Ces derniers profitent de plus, l'hiver, du déneigement de la route départementale D 95, un impératif pour la desserte de Valmorel.


D.3.3.Quelques changements depuis 1983

Nous avons fixé le terme de la présente recherche familiale, à l'année 1983. Les changements autour du Morel ne se sont pas arrêtés à cette date là. Au moment de ces écrits, soit dix huit ans après, l'évolution s'est poursuivie, touchant monde touristique, la station, et monde agricole.

D. 3. 3. 1 La station s'adapte.

Elle avait à l'origine, une vocation sports d'hiver. Depuis une dizaine d'années, elle vise à élargir sa clientèle vers les loisirs d'été. Elle anime, surtout au mois d'août, des manifestations spécialisées : musique, braderie, tournois divers (tennis, golf,…) et accueille des sports nouveaux : trotin-herbe, parapente (voir ci-dessous), ski sur herbe et vélo tous terrains. Pour l'hiver, la station à équipé ses pistes avec des canons à neige, afin de maîtriser, en partie, les aléas climatiques ; le réseau des remontées mécaniques a été connecté avec celui de Saint François Lonchamp en Maurienne limitrophe. Elle créé depuis peu, des aires d'évolutions pour les surfeurs. Que ce soit l'été ou l'hiver, faire face à la mouvance des désirs européens contemporains, est une exigence pour les responsables de loisirs.


Trottin-herbe.



Parapente.


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D. 3. 3. 2. L'agriculture change.

Les agriculteurs de Savoie ont progressivement mis au point des règles strictes pour justifier l'origine de leurs produits. En particulier en Tarentaise, ceci est caractéristique pour le gruyère de beaufort. Deux étapes, en 1986 et en 1993, ont été signalées ci-dessus. Depuis, l'alimentation des laitières fait débat. « Cette alimentation doit être à base d'herbe paturée ou de foin avec le maximum d'autonomie fourragère. L'approvisionnement en fourrage de plaine est admis seulement dans les cas de conditions climatiques défavorables en haute montagne, car l'achat de foin de plaine se fait au détriment de la coupe de foin de pays et indirectement permet aux friches de progresser » ( 72 ). A la fin des années 1970, on a vu les alpagistes de Beaudin, faire enlever leur lait par la coopérative de Moutiers; adieu « fruitier » , « governu » , « séraché » , « boetché » . La réduction des emplois s'est poursuivie ensuite, du coté des bergers. Par contre les nouvelles conditions de travail sont plus humaines. Le foin est collecté puis transporté avec des véhicules adaptés à la pente ; la traite des vaches, se pratique avec machine nomade électrique (Voir ci-dessous). Pour la garde des troupeaux, les clôtures électriques temporaires se généralisent.





Foin transporté avec un véhicule adapté a la pente.

Traite des vaches avec une machine nomade électrique.

D. 3. 4. Espoir avancherain.

D'un côté, la station entraîne les Avanche rains dans le courant de la modernité, d'un autre, elle reçoit d'eux, avec quelques pro- duits originaux pour les vacanciers, un cadre de loisirs de qualité. Après avoir dominé leur concurrence des débuts, c'est vraisemblablement par leur complémentarité que tourisme et agriculture devraient durablement assurer l'avenir des Avancherains et de leur belle vallée du Morel.
Deux évènements symbolisent cet espoir.
Le premier, c'est le vingtième anniversaire de l'Union des Producteurs de Beaufort ( 73), fêté à Valmorel en 1986. Le second c'est le nom de la commune, devenu depuis une dizaine d'années, “ Les Avanchers- Valmorel” ; un signe officiel d'amalgame Nous voyons ci-dessous, la station dans son cite, sous deux angles. En haut c'est l'été. L'horizon est dominé à l'ouest par la chaîne de la Lauzière. En bas, le regard, orienté au sud, découvre un panorama d'hiver au pied du Cheval Noir.
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Valmorel en été.



Valmorel l'hiver.

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