CHAPITRE C –L'ESPACE DOMESTIQUE.
Après avoir rencontré nos ancêtres
dans leur environnement montagnard, nous allons à présent
éclairer leur mode de vie, avec quelques informations sur leur nourriture,
leur habillement, leurs biens meubles.
C.1.
Pour l'essentiel, durant les trois quart de notre
période d'observation, la nourriture est le résultat d'un travail
local, principalement fourni par les femmes. Pour le quart le plus
récent, c'est à dire à partir des années trente du
siècle dernier, un épicier et un boulanger, vendent, en faisant
leur tournée, des articles qu'ils transportent, avec leur camionnette,
depuis la vallée.
C.1.1. Les sources de l'alimentation.
Les vaches, le cochon, le potager, le(s) champ(s) de
pommes de terre, le poulailler et quelques arbres fruitiers constituent les
sources premières, conditionnées par les saisons. Lait, fromage
et légumes, seront les apports nutritifs principaux. La
variété de ces légumes sera fonction du savoir faire des
jardinières. La charcuterie complète un peu.
C.1.2. Les façons de faire.
Au fil des jours, avec des sources inchangées
et un respect habituel de la tradition, les façons de faire sont
stables. Nous donnons ici, quelques exemples trouvés dans le patois local (1)
C.1.2.1.
Faire le fromage ( fér la tema ).
Il faut du lait ( dè
lasé ) et de la présure faite avec la caillette de veau ( dè ka-y(e). Les ustensiles nécessaires
sont : un chaudron ( on pér ), une
faisselle (na fache-l ) une coupelle ( na kopa ), une sorte de fouet de bois ( lè verdzète ) et une toile ( na tàla ). Les différentes
opérations sont : chauffer le lait dans le chaudron, mettre en
présure, couper en croix le lait caillé, brasser, agiter avec le
fouet pour obtenir un grain fin, sortir le fromage, le mettre dans la
faisselle, poser enfin dessus, une planchette et un poids pour que le petit
lait ( la lato ) résiduel
s'écoule. On obtient alors une tome (na toma).
C.1.2.2.
Faire le beurre ( fér l'beur )
Le lait du jour, mis à refroidir dans un
chaudron, permet progressivement à la crème ( la flë ), de monter en surface. On la recueille
et on la met dans une cruche
( na te-pna) et ceci
plusieurs jours de suite pour atteindre la quantité nécessaire
pour lancer la fabrication du beurre. La crème est alors versée
dans une baratte (na borir)
dont le pilon permet de l'agiter de haut en bas. Lorsque le beurre est obtenu,
on le sort, le pétrit avec les mains dans un seau d'eau, pour le rincer
et éliminer ainsi, le babeurre ( le kyor).
On le laisse en motte ou on le forme dans un moule en bois, souvent
ouvragé.
Le crème.....dans
la baratte dont le pilon permet de l'agiter de haut en bas et vice versa.
Trois moules en bois
ouvragés.
(1) SIMILLE ( N. et M.), Le Patois des Avanchers,
pages 33 à 36.
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C.1.2.3.
Faire cuire le pain.
Après la fabrication de la pâte à
la maison, le pain est cuit, dans le four banal du village,
propriété de la com-mune. L'arrêté pris par le
Conseil municipal et reproduit ci-après, montre des élus
gestionnaires économes du bien commun (2).
« Le
syndic rapporte que plusieurs des habitants de la commune lui ont
observé que la mode de faire au four à volonté,
détruisait entièrement le four [et] que la commune ne tarderait
pas de manquer de bois si on n'avisait au moyen d'y porter
remède.»
Le Conseil retient cette observation et s'inspirant « d'un mode suivi par bien des
communes» prend
l'arrêté suivant :
« Il
sera fait au four pour toutes les familles de chaque village de la commune, une
fois par mois à l'exception de janvier et février.
Chacune de
plus de deux membres ou deux familles réunies de moins de cinq membres
en devra faire le premier chauffement le premier lundi de chaque mois à
tour de rôle, et il sera fait successivement au four sans le laisser
refroidir pour la famille la plus voisine et ainsi de suite jusqu'à la
dernière famille du village ».
C1.2.4. Faire les repas.
Comme il est d'usage, dans ces années, les
repas de tous les jours sont différents de ceux des dimanches et
fêtes. Nous reprenons ici la description de repas de tous les jours, avec
les mots du patois (3).
« faire
à manger, (fér a mdjé), [c'est] préparer
les repas( préparo lou rpo); Pour le soir(le spo)
: de la soupe de legumes générale-ment (dè
spa), soupe au lait et à la farine (lè
mariétè), ou soupe de maïs (dè
gôde). A midi, ( midze-r) pour le
déjeuner (pè dno), des crozets (dè krozè), des pâtes (dè tayerun) ou des légumes,
épinards (epnatsè) ou courges (kwerdè) selon la saison.»
Pour les dimanches et fêtes, à titre
d'exemple, nous trouverons les repas que nous prenions chez Mémé
Julie, avec cochon, légumes, tome et pommes fripées
(Cf.
infra Annexe 5, page 51 ).
C.1.2.5.Faire
des plats originaux.
Pour certaines occasions, la cuisinière
avancheraine fabrique des plats, que l'on rencontre en d'autres lieux de
Savoie, mais elle y ajoute sa touche personnelle.
Ce sont entre autres, la polenta et les pormoniers( lou pormogné). Ces derniers, dits aussi
saucisses vertes
( verdè), sont
composés de viandes de porc de second choix ( lard, poumons) auxquels on
ajoute poireaux, bettes et choux haché. Ils sont produits en hiver dans
les jours qui suivent celui où le cochon a été tué
puis débité. On pourra apprécier les rissoles à la
confiture (lè rjoula), le matafan et le
farçon. Nous avons déjà rencontré ce dernier plat
au repas de noce de notre tante Amélie en 1920 (4). L'illustration
ci-dessous en montre un exemple avec sa recette actualisée.
Ce plat à base de pommes de terre est digne
d'être apprécié pour son goût
sucré-salé que la cuisine
d'aujourd'hui a mis à la mode.
Le four banal du
Chef-lieu.
Pour ce
farçon, il faut : 1 kilo de pommes de terre,
6 œufs, des
raisins secs * et fruits confits *, des épices : safran, eau de fleur
d'oranger *et anis vert *.
Faire une purée avec les pommes de terre, le
lait et le beurre, y ajouter les œufs battus puis les épices.
Mettre dans un plat à four,
beurré.Cuire à four chaud, pendant 25 minutes.
( * Ne figurent pas sur l'image. Par contre, le
safran est dans le petit tube rouge,
sur la soucoupe, à côté du cerfeuil et du beurre;
les autres sont pour moitié..).
(2) A.D.S.- A.C.A., 190 E, Dépôt 108.
Délibération du 11 04 1833.
(3) SIMILLE ( N.et M.), Le Patois des Avanchers, page 33.
(4) ASPORD ( R.), 2005, page 34.
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C.1.2.6.
Faire le jardin, ( fer lou korti ) et des champs
de pommes de terre ( dè tsan dè tartifle)
( *).
Le jardin, c'est la responsabilité des femmes.
Il est souvent proche de l'habitation. Bien enrichi par le fumier des vaches et
entretenu assidûment, il produit en quantité, les haricots
ramés ( lou fazou a ran-m), les blettes (
lè koutè ), les raves (lè rovè ), les choux ( lou tsou ), les carottes
( lè partsnayè ) et les poireaux (
lou por ). On y trouve des groseillers ( tamarins ) et quelques rangs de pommes de terre.
Cette tartifle pousse très bien dans ces terres
bien amendées et on en plante dans des champs plus
éloignés de la maison. Ce n'est plus, alors, le domaine exclusif des femmes.
C.1.2.7. Faire des boissons.
Du
cidre :
Jusqu'au
chef-lieu, on rencontre des pommiers. Ces arbres ne sont pas l'objet de soins
très méticuleux, mais il y a, certaines années, de bonnes
récoltes de pommes ( lou pomè ) Le
propriétaire mettra les meilleures en réserve dans un local bien
aéré pour les consommer à table. Il fabriquera avec les
autres du cidre ( sitra ) à l'aide d'une
râpe à tambour puis d'un pressoir.
Du
vin :
Nos
ancêtres possédaient des vignes « en bas», sur les
premiers coteaux de la vallée de l'Isère, faisant partie des
communes de Le Bois et d'Aigueblanche. Ces sources de leur vin, font l'objet de
notre anecdote intitulée :« Le vin de Mémé
Zoé » (Cf. infra Annexe 5).
De
l'eau :
Il n'est pas question de la « faire »,
mais de la « faire parvenir »
aux consommateurs à partir des captages, des réservoirs et
des réseaux. Elle est pour eux, hommes et bêtes, la boisson de
base ( Cf. infra § B .2.1.).
Un homme,
aussi, récolte les pommes de terre dans ce champ. Tous les trois
tiennent en main une pioche à deux pointes ( on
tsgô).
Vestige d'une
râpe à tambour, en dépôt dans une cave de la maison
de J.F.Aspord, à Cornet.
Des vignes dans les bas de la
commune de Le Bois.
( * ) « Pomme de terre, appelée aussi,
tartifle, truffe, teefer est originaire d'Amérique. En 1742, la tartifle
fait son apparition dans certains
potagers de Savoie. A partir de 1770, les Savoyards exportent une partie
de leur production vers
(
Source : Jardin de
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