CHAPITRE E .
LES TRAVAUX DES
AVANCHERAINS.
Les
Avancherains sont des agriculteurs de montagne, dans leur presque
totalité, jusque dans les dernières années du premier
quart du XXe siècle. Nous venons
de rencontrer leur adaptation à la végétation
étagée qui a généré des habitats en
conséquence ( Cf. supra § B.4, page 15)
Avec
la marche, moyen de déplacement pratiqué dès le plus jeune
age, sur les chemins pentus, ils atteignent leurs différents lieux de
travail aisément ( Cf. supra § B.3.page 14 ).
Dans
un environnement hostile, nos ancêtres sont à la fois
cultivateurs, éleveurs de bovins et producteurs de lait et de ses
dérivés.
Proche
de l'étage forestier, ils y prélèvent le bois
nécessaire à leurs constructions et à leur chauffage.
Assez fréquemment les hommes ont des tâches nécessitant
plus de force physique que celles des femmes mais, ces dernières,
doivent être solides, pour assurer à la fois leurs tâches de
ménagères et celles de paysanne.
Pour
donner une représentation approchée de la vie matérielle
de ces ancêtres, face au climat et ses saisons et face à
l'altitude, nous schématisons à titre d'exemple ci-dessous, les
travaux et les déplacements de nos ancêtres Mermin. Nous
positionnons horizontalement leurs travaux en rapport avec les saisons. Les
déplacements sont tracés verticalement entre le chef-lieu, leur
habitat principal à
Travaux et
déplacements entre des habitats.
E.1. LES
AVANCHERAINS, AGRICULTEURS
DE MONTAGNE.
Dans leur cadre de vie,
décrit précédemment, c'est à dire face au relief,
à l'altitude, à la neige, nos ancêtres ont adapté
leurs méthodes de culture à cet environnement défavorable.
Ils préparent les sols pour les céréales et les
prés de fauche. Leur objectif prioritaire est d'assurer leur autosuffisance
alimentaire.
Avec des surfaces de
végétation exploitable limitées et les partages des
terres, succession après succession, il en à
résulté un parcellaire avec des surfaces majoritairement petites.
Ceci conditionne lourdement les façons de travailler (1).
E.1.0.Travailler sur des parcelles exiguës.
Sur
Pour représenter de
façon approchée cet ensemble de parcelles, nous avons retenu,
pour vingt-quatre possesseurs, la surface maximale et la minimale de leurs
terres et pour trois, une seule car ces trois là, étaient
l'unique propriété de leur possesseur, soit au total cinquante et
une parcelles (3).
Sur
le journal = 29 ares environ,
la toise carrée =7,5
centiares,
le pied carré = 0,11
centiares.
Ces valeurs sont extraites
d'un ouvrage donnant des mesures de surfaces en Savoie en 1729, au moment de
l'établissement des cadastres donc une date très proche de celle
de
La
répartition des parcelles, classées dans l'ordre croissant de
leur surface donne huit groupes.
Ils sont l'objet du graphique ci-dessous qui montre :
28 parcelles
inférieures à 10 ares,
6 parcelles de 10 à 19 ares,
9 parcelles de 20 à 29 ares,
2 parcelles de 30 à 39 ares,
2 parcelles de 40 à 49 ares,
2 parcelles de 50 à 59 ares,
1 parcelle de 115 ares soit
1 parcelle de 136 ares soit
Répartitions de 51
parcelles d'après leur surface.
Pour
apprécier les dimensions de ces parcelles, nous pouvons les comparer
avec la seytorée. Il s'agit
de la surface fauchée par un homme durant une journée (5) et
correspond approximativement à une vingtaine d'ares. Pour les surfaces
retenues, six parcelles seraient fauchées entre une demi et une
journée et vingt-huit en quelques heures. Nous sommes en face d'un
ensemble de parcelles dont les deux tiers sont exiguës.
(1)
En 1967, un
remembrement a été mené par le Ministère de l'
Agriculture, pour en limiter les inconvénients.
(2) ADS / ACA / 190 E dépôt 9, Cadastre – Tabelle
alphabétique de 1738.
(3) ( 24 x 2 ) + 3 = 51
(4) BRONDY Réjane/Chambéry / Histoire d'une capitale /
Mesures de superficie, page 308. ( BNF Tolbiac, R.de J, Usuels 944.480 ).
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E.1.1. Préparer les sols.
Il ne faut pas tarder, une
fois les sols libérés de la neige. Préparer, c'est
remonter la terre, amender et labourer ceux qui seront emblavés en
céréales ou en pommes de terre.
E.1.1.1. Remonter la terre
Comme
l'écrivent certains observateurs :« Avec le mois d'avril,
commencent les travaux et remise en état, c'est l'éternel combat contre le glissement» (5)
La
méthode consiste à faire une tranchée dans la longueur la
plus basse de la parcelle. Cette terre ainsi remuée, est ensuite
charriée ( tsarotà ) sur la partie
supérieure qui a été préalablement piochée
et fumée. La civière ( la tsvir )
portée à deux est généralement l'instrument du
portage. Femme et enfant participent à ce dur travail mais ces derniers
déplacent des charges, fonction de leur âge, dans un panier, sur
la tête, protégée convenablement ainsi que leurs
épaules.
E.1.1.2. Amender la terre
arable.
Pour
cette amélioration, le fumier ne manque pas. Son transport depuis le
dépôt ( drudjé ),
placé à proximité de l'étable, se fait à
l'aide d'un traîneau à manches, tiré à bras d'homme.
Quand le chemin est étroit pour atteindre la parcelle de destination, le
portage se fera avec une espèce de besace double ( lè batsoulè ) placée sur le
bât du mulet. Les charges seront soit basculées sur le terrain en
les disposant en tas espacés que l'on épandra à la fourche
dans une autre étape, soit tout de suite répandues.
E.1.1.3. Labourer.
En
retournant la terre, l'amendement sera enfoui. Dans ce but, on utilise deux
mulets pour tirer la charrue qui creuse la terre et la rejette sur le
côté. Une famille possède, au mieux, un mulet mais, depuis
des générations, elle s'associe à une autre pour
constituer un attelage de labour ( na kobla
). Les mottes seront brisées avant de semer l'orge, l'avoine puis on
passera la herse. Il faut que le sol soit bien plat, prévoyant le
fauchage de la moisson. On cherche à limiter les dommages pour la faux
qui plante sa pointe dans les bosses.
Sur
les prés de fauche, il faudra
araser les taupinières ( édarbner ) en étalant leurs terres et
retirer les cailloux, ces autres ennemis des faux.
On
épandra peut être du fumier quand il ne l'aura pas
été à l'automne.
Le traîneau à manches, tiré à bras d'homme.
Espèce de besace
double, formée de deux sacs, taillés dans une forte toile,
maintenus et reliés par deux solides
bâtons. Ils sont placés sur le bât où ils pendent
à gauche et à
droite du dos du mulet.
(5)
NICOLAS, ( J. et R. ), 1979, page 22
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E.1.2. Obtenir du foin.
L'hiver,
avec le froid et la neige, impose de garder les bêtes à
l'étable. Pendant ces mois, elles seront nourries avec du foin.
Pour
l'obtenir, on s'active beaucoup en été pour la fenaison. Elle
occupe, de longues journées, aussi bien les femmes que les hommes.
E.1.2.1.
Le fauchage.
Pour ce travail, on se
lève très tôt, car avec la rosée l'herbe est moins
dure.
A
pied d'œuvre, il faut d'abord retrouver les bor-nes ( lè bouna )qui repèrent la parcelle
à ses angles. Ensuite on fait une trace dans le foin.
Le
fauchage est conduit généralement du haut vers le bas. Le
faucheur abat sur une
étendue de pré, à chaque enjambée, une
quantité d'herbe qu'il rejette sur sa gauche, avec sa faux (na da-y) formant une ligne régulière,
l'andain.
A
la coupe, la faux perd de son tranchant ; pour lui en redonner, le faucheur ou
la faucheuse porte, accroché à sa ceinture de cuir, un
étui en bois ( le ko-vyé ) contenant une pierre à aiguiser et un peu d'eau.
Cet attirail lui sert; de temps à autre, pour regagner le mordant
convenable.
En fin de journée, il faut remettre en forme le tranchant
de la faux car il a été endommagé par des cailloux..
Au
marteau, sur une petite enclume plantée dans le sol ( lè martèlëre ) , croquis ci
dessous, il donne le bon biseau à sa faux en lui martelant son bord
tranchant.
accroché à sa
ceinture, un étui en bois contenant un pierre à aiguiser et un
peu d'eau.
regagner le mordant
convenable
il donne le bon biseau
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E.1.2.2. De l'andain au "baryon".
Pour
le séchage du foin, il faudra d'abord étaler l'andain puis,
après un certain temps, fonction de la chaleur, retourner ce foin avec
un râteau, pour montrer l'autre face au soleil. Se glisse alors, certains
jours, l'antagoniste à ce travail, la pluie. En effet, seul du foin bien sec peut
être stocké. Il faut alors alterner des retournements
commandés par l'ensoleillement.
Quand
il est sec, on prépare le transport en réunissant le foin
à l'aide, encore, d'un râteau, afin de constituer ce que des bras
peuvent porter (dè brachè). Ce
sont ces brassées que l'on dispose sur des cordes pour les transporter
à la grange, sous forme de fardeau ou de balle cylindrique.
Composition du fardeau ( on fé ).
« La corde ( kôrda )servant à faire un fé est
particulière : elle passe à travers les deux trous percés
aux extrémités d'un bâton de bois muni d'encoches. Les
brassées de foin sont disposées sur les deux cordes tendues au
sol. Quand le volume est suffisant, on ramène les cordes par dessus le
foin et on passe les extrémités dans les encoches pour serrer et
attacher. Le fardeau est porté à
la grange sur la tête.»(6)
Le
nombre des brassées est en rapport avec la force du porteur.
Composition
de la balle cylindrique ( on baryon )
Nous
reprenons ici, la description, établie par un originaire du village de
Bessan (7), correspondant bien à celle du baryon des Avanchers.
« Pour composer [ le baryon ] on utilise deux grosses barres de bois,
d'environ un mètre cinquante de long, percées de trous
situés entre des encoches à chaque extrémité. Une
corde unique, passant à travers ces trous, sert à former entre
les barres, distantes d'environ deux mètres à deux mètres
cinquante, un réseau de segments parallèles, de longueurs
égales espacées d'environ dix centimètres. Deux cordes
plus grosses, longues de quatre mètres, passant aussi à travers
les extrémités de l'une des deux barres servent à lier [
le baryon ].
Barres et cordes intermédiaires
sont placées au sol en les maintenant bien parallèles. On dispose
successivement les brassées à une place bien définie.
Quand la quantité de foin paraît suffisante, deux faneurs ou
faneuses, soulèvent les barres, celui ou celle ayant les grosses et
longues cordes de son côté, les lance à son vis à
vis, qui les passe dans l'encoche de sa barre puis les renvoie. Chacun saisit
alors une corde et l'entrecroise plusieurs fois autour des barres pour
démultiplier les efforts en tirant. Ces barres finissent par se
rapprocher et sont alors liées solidement. »
retourner ce foin avec un
râteau.
Le fardeau est porté
sur la tête
Un baryon (
au premier plan ).
(6) SIMILLE, (N ) et SIMILLE-MOLLARD, (M.), Le Patois des Avanchers, page 28.
(7) TRACQ, ( F.), 2001, La
mémoire du vieux village. Bessan, dans la haute vallée de l'Arc est aux
abords sud-est du Parc de
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E.1.2.3.Le transport et le
stockage du foin.
Selon
les saisons, les lieux et si l'on dispose ou non d'un mulet, les façons
de transporter sont variées.
Le
transport durant la fenaison.
La
plus passe-partout des solutions est le fardeau porté sur la tête.
Dans ce but, le faneur, en écartant les tiges de foin, fait un creux au
bon endroit, y place sa tête
après avoir interposé un foulard. Pour élever la charge,
un autre faneur aidera le porteur, plus où moins incliné,
à la soulever et à bien l'équilibrer. Le baryon peut aussi
être transporté de cette façon soit vers la grange soit
vers un endroit de chargement. Dans ce dernier cas, il sera installé,
suivant la pente, soit sur une charrette (na
djun-bàrda ) soit sur une luge à roues, combinaison du
char et de la luge ( na trènéla ).
Charrette ou luge sera tirée par un mulet. Les baryon peuvent
être, autre solution, placés sur un traîneau à
manches, ( na lidz ), tirée par un homme,
quand la pente et la faible distance le permettent. S'il reste un peu de foin
sur la parcelle, on le ratisse pour faire un tas que l'on déplace sur un
carré de jute ( on drapè ).
Noué aux quatre coins, on le porte sur l'épaule (8).
Le stockage dans une
grange de l'habitat principal.
Arrivé
à la grange ( la grandz ), le fardeau ou
le baryon est démonté. Si c'est au premier niveau, on y forme un
tas ( on maré ) en réservant des
places pour le foin de la montagnette et pour les céréales.
Si
c'est au deuxième niveau ( le solan ), le
porteur monte, chargé, les barreaux d'une échelle presque
verticale puis réparti le fourrage à la fourche.
Le stockage dans une
grange de la montagnette.
Provisoirement,
le foin récolté sur le hameau est conservé dans la grange
pour être descendue au village familial grâce à la neige.
Le transport entre le
hameau et l'habitat principal.
Cette
opération doit être menée sur une neige glacée pour
moins s'y enfoncer. En la résumant à partir du recueil « Le
Patois des Avanchers» (9)il faut :
«
tracer une piste sur la neige ( on ldjé ), monter sur le dos la luge à
bras, mettre le foin dans les barillons, charger la luge, descendre le
chargement [....]au village ( u vladz ).Cette
activité s'appelle [..] ldzata. L'homme
se met à l'avant, tenant fermement les manches. Dans la pente la vitesse
peut être considérable, aussi faut-il pouvoir freiner avec les
pieds ou avec lou kordè qui,
glissés dans le manche, descendront
jusqu'aux patins pour jouer le rôle de frein. Le chargement est
serré à l'aide de corde et de trô-y(è)
».
un carré de
toile de jute
freiner avec les
pieds
en haut : une pièce de
serrage ( trô-y(è) en bas : le
frein de luge ( lou kordè)
(8) Ce drapè, sert aussi à descendre le foin, de la grange à l'écurie pour alimenter les bovins, l'hiver.
(9) SIMILLE, ( N.)et SIMILLE-MOLARD, (M.), op. cit .p.42 ,43.
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